Commissariat, A stich in time,
Nice,
novembre 2016
Note d’intention
"– Clov !
– On est pas en train de…
De… signifier quelque chose ?
– Signifier ? Nous, signifier !
(Rire bref.) Ah elle est bonne !"
Extrait de Fin de partie,
de Samuel Beckett
A la manière des protagonistes de Fin de partie, la pièce de théâtre de Beckett, Bouillon et Nedelec se livrent ici et bien malgré eux, à un combat. Dans cette partie qui se jouent entre eux, deux univers sont donnés à voir : les images scandées à un rythme fou par Bouillon versus l’horloge patiente de Nedelec qui égraine lentement les minutes et les heures.
Les vidéos de Bouillon nous prennent au corps et -comme une musique saturée de basses- elles nous font prendre
conscience de la pulsation de notre pouls, du battement de notre coeur. Avec ses images « flash », Bouillon propose à son regardeur un jeu rétinien de persistance des couleurs : sa pièce Tribute to Albers rejoue ainsi la
recherche scientifique de l’auteur de Interaction of colors. Si Bouillon nous invite à une transe presque « techno », Nédelec nous propose en contrepoids une vanité, un memento mori qui nous rappelle notre condition. Bien que Missing time soit une pièce explicitement proustienne,
Nedelec nous renvoie à une réalité scientifique, mesurée, « métronomée » du temps. Deux « temps » coexistent ici.
L’un, infini, est produit par le fonctionnement implacable de l’horloge à la surface de l’écran. L’autre, ensemble fini, est suggéré par l’effacement des chiffres, leur presque disparition de l’image, sorte d’adaptation digitale de la perte des grains de sable dans la partie haute d’un sablier. La finitude est également soulignée par le nombre «fini » de combinaisons de chiffres proposés par Nedelec : Il faudrait 332 années à un regardeur pour les voir toutes défiler. Fort de ce cycle nouveau, arbitraire, l’artiste fabrique un temps nouveau, d’une tout autre échelle et d’une toute autre nature, un temps qui relève du programme informatique.
« Un temps ». C’est par cette indication inlassablement répétée que Becket rythme sa pièce, « temps » à la fois précis et imprécis, fini et infini. Dans la pièce de théâtre, ces mots signifient un silence, une respiration, et tout à la fois remplissent le vide et l’espace, se faisant architecture et durée par leur présence. De la même manière, on ne peut déterminer si les monochromes de Bouillon qui apparaissent dans FreshFluxFilmAnthology sont des pauses, des silences, des cercles tracés sur la partition, ou bien s’ils sont des pleins, des architectures, des formes qui objectivent le temps et l’espace. Vidéos de Julien Bouillon et Julien Nédelec. Commissariat Bérangère Armand, festival OVNI 2016
Courtesy Julien Bouillon
Courtesy Julien Nédélec (prêt de la collection Keredenis Pepe)
Crédits photos François Fernandez
Remerciements à Samsung et à la collection de Keredenis Pepe